« Out of boundary. »
Les œuvres de Julien Fesil, pseudonyme Par ∫ Défaut, nous plongent dans un profond doute quant à notre propre réalité. Comme un rêve dont on tente de se mémoriser les linéaments, au réveil, avant que les souvenirs ne se déforment et notre perception se brouille. Quelques images persistent, les détails se multiplient et se superposent. Au fil des minutes, notre mémoire se joue de nous, dépeignant une alternative faite à la bonne conformité de la scène. Un personnage qui tourne en rond, bloqué dans le décor, ce glitch qui tente vainement d’échapper aux limites, piégé dans un interstice universel et tout politique. Les lignes convergent vers ce point central d’Alberti, façonnant les rêves & les idéaux par le déploiement de plans sur la surface de lin.
L’artiste maîtrise à la perfection la technique de la peinture à l’huile. Libéré de toute contrainte, il se joue des discours sur l’art et de nous, spectateurs.trices, pour créer un monde où les frontières du réel deviennent floues. Dans l’apparent chaos des œuvres, se révèle une composition longuement réfléchie.
Chacune se mue en un véritable tiroir, une embrasure complexe, dans laquelle les symboles ont été minutieusement pensés. Les détails prolifèrent sous ces bruns qui nous noient.

*Out of boundary (oob) :
Terme usité dans le jeu vidéo pour définir les techniques qui permettent au personnage d’un.e joueur.euse de contourner la zone dans laquelle il ou elle est censé.e jouer, soit en se trouvant sous, ou au-dessus, des barrières invisibles. Il décrit également le bug qui survient lors d’une interaction entre le/la protagoniste & les frontières indiscernables du monde programmé en amont. Par exemple : un personnage dont le bras disparaît à l’approche d’un mur inexistant, véritable barrière de verre ressentit dans le gameplay comme infranchissable, et ce, malgré son apparente inexistence visuelle.
Des combinaisons surréalistes surgissent : aux tournesols empâtés se confrontent les quelques nuances lissées d’une architecture gothique ; d’inflexibles lignes approchent un cerf aux aguets ; des pixels côtoient le visage familier d’une femme ; et une lande pacifique se heurte à un feu tumultueusement abstrait.
Ici, nous demeurons surpris.es par un présent anachronique, où se rencontrent mythologie, allégories et références toutes contemporaines et autobiographiques. Serait-ce un futur, ou était-ce un passé ?
La stricte figuration ne prédomine pour autant pas sur la forme, la ligne ou la couleur. L’abstraction se libère du simple fond décoratif pour s’exprimer pleinement. Les formes géométriques, les couleurs vives, les écritures manuscrites et les rehauts de lumière se déploient de manière autonome à la surface. Au cœur de ces compositions élaborées, un souffle de liberté nous saisit. Les dichotomies ne demeurent guère et les guerres de clochers se meurent sous les masses qui absorbent la lumière.
Julien Fesil ∫ Par-Défaut, multiplie les réalités, et le numérique en est une. Loin de rendre ses peintures lisses, des motifs databendés (bugs visuels dans la donnée informatique) apparaissent comme des anomalies dans la perception de l’image. Nos sens, une fois de plus, se retrouvent perturbés et amusés.
Et si, finalement, tout cela n’était qu’une impression de notre monde qui fut ?
Marie Lingl-Rebetez